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Celle qui a été dévorée

Série Photographique, 2019

 

« Tire la chevillette, la bobinette cherra. »

Le petit Chaperon rouge tira la chevillette et la porte s'ouvrit. Le loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : « Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi. » Le petit Chaperon rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit :

« Ma mère-grand, que vous avez de grands bras !
— C'est pour mieux t'embrasser, ma fille.
— Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes !
— C'est pour mieux courir, mon enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles !
— C'est pour mieux écouter, mon enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux !
— C'est pour mieux voir, mon enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents !
— C'est pour mieux te manger. »

Et en disant ces mots, ce méchant loup se jeta sur le petit Chaperon rouge, et la mangea.

Celle qui a été dévorée se jura que jamais plus elle ne quittera le chemin pour courir dans les bois.

Texte : extrait du Petit Chaperon Rouge de Charles Perrault (1ère publication 1697 / texte extrait d’une version 2011, Pocket)

Je m’intéresse aux histoires. Aux contes, aux fables et aux mythes. Mais aussi aux récits religieux qui sont, à mes yeux, des légendes contées par des prêcheurs convaincus.

Il y a aussi les œuvres (romans, pièces de théâtre, chansons, peintures, films,...) créatrices de personnages devenus noms communs, qui se chargent avec le temps d’une portée et d’une stature toujours plus grandes.  Au même titre que les figures religieuses ou mythologiques, les Don Juan, Tartuffe, et autres Gavroche... alimentent la galerie des représentations symboliques de modèles universels : les archétypes.

 

Qu’elles prescrivent une attitude morale, une sagesse a imiter (rôle des mythes, religions et fables) ou, au contraire qu’elles invitent à une exploration de nos conflits intérieurs et de nos ressources pour les résoudre (rôle des contes), ces histoires soulèvent des questionnements existentiels. En cristallisant des situations, elles orientent les hommes face à leurs difficultés. Leurs récits offrent « des modèles de comportement humain, ce qui leur permet de donner, par le fait même, un sens et une valeur à la vie. »  (Mircea Eliade)

 

Ces histoires appartiennent à notre inconscient collectif. Transmis de génération en génération, il représente «la sagesse des siècles». Selon le psychiatre Carl Gustav Jung, « nous ne sommes pas d’aujourd’hui ni d’hier : nous sommes d’un âge immense ». Nous héritons d’un bagage inné d’archétypes qui influencent nos comportements, nos pensées et la façon dont nous regardons le monde. 

 

Les rêves sont une porte étroite vers notre inconscient. Un autre passage est peut-être possible en observant les symboles qui se manifestent en nous.  Ainsi pourrons-nous, peut-être, allumer une petite lumière dans le puits sans fond de nos êtres. 

Sans la stimuler, la réalité se déguise parfois en fictions rocambolesques. Les personnes deviennent personnages. Ainsi se superposent à mon tranquille réel la visite d’un Jésus, l’agression d’un loup, le passage d’un chaperon rouge, la baignade d’un Poséidon, ou la folie d’un Don Quichotte... Habitée par l’ambiance d’un récit qui me revient, je photographie. 

De ces expériences découlent deux petits livres Celle qui a été dévorée et Celui qui est né deux fois (réinterprétations du conte du Petit Chaperon Rouge et de la Passion de Jésus). 

La déclinaison de ce projet se poursuivra avec le même protocole formel (leporello, cf. page de l'édition). 

Ainsi, avec le temps, j’espère constituer un vaste panorama de Celles et Ceux qui peuplent mon / notre inconscient collectif. 

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